dimanche 21 octobre 2012

30 vendémiaire, an CCXXI

Quand un oignon rissole dans quelque huile que ce soit, l'appétit vient au monde entier


Ma vie s'est partagée entre deux passions, la musique et la cuisine. N'ayant jamais écrit autres choses que des saveurs, des sons pour, de temps en temps, générer de l'harmonie, je me sens démuni, avec cette plume, ce soir.
Je voudrais simplement vous dire que la cuisine et que la musique n'ont jamais eu de patrie, qu'elles n'ont jamais été bleu, blanc, rouge et qu'elles n'auraient pu s'épanouir sans liberté.
Je voudrais simplement vous dire que quand le soleil se couche pour moi, il se lève pour un autre, quand un Mozart se joue, son génie, sa transcendante fraternité est perçue de tous les peuples, quand un oignon rissole dans quelque huile que ce soit, l'appétit vient au monde entier.
Je voudrais simplement vous dire, malgré votre étonnement pour cet étrange appariement entre Mozart et une odeur, que l'harmonie, après laquelle j'ai toujours couru, est ce devoir que nous avons, cette impérieuse nécessité devrais-je dire, d'aider, d'assister l'autre vers sa liberté absolue de conscience, vers l'administration exacte de ses choix, dans l'absence de tous dogmes, vers ce plaisir de découvrir sans cesse et sans fin ce qui se fait ailleurs, ce qui s'écoute ailleurs.
Je me sens démuni, avec cette plume, ce soir, moi le vieux charentais, parce que la haine n'aime pas l'odeur, elle n'aura jamais de grands cuisiniers et ne servira que de spartiates brouets à de brunes et décervelées phalanges, elle n'aura jamais de grands musiciens car portée fait oxymore avec barbelé.
La haine n'aura jamais d'artistes.
La haine ignore la spiritualité qui nous unit, nous créateurs, nous acteurs de vie, elle ignore l'histoire de l'homme, abolit jusqu'à la génétique qui nous fait.
La haine, mes enfants, réécrira, si nous la laissons faire, l'origine des végétaux et des animaux qui peuplent nos assiettes, une blanche vaudra vraiment deux noires et là, là, nous serons coincés, murés dans les silences qu'elle imposera à nos partitions, morts de n'avoir su générer l'harmonie.
Ma vie s'est partagée entre de deux passions.
Mon coeur, lui, ce soir, usé et fatigué, n'est pas partagé, il bat encore et je l'entends qui tambourine à la porte de mon âme et lui crie:

Vire la haine !

Bernard Pichetto - 2002

4 commentaires:

  1. Un texte de 2002... Et comment va le cuisinier-botaniste-mraîcher-libraire-musicien-écrvain, en 2012 ? Mieux, j'espère ? Hubert

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  2. Non, Hubert, je ne vais pas mieux, la bête n'est pas morte... la haine est toujours rampante, comme ces insidieux brouillards qui s'insinuent sous les portes les mieux fermées nous glaçant l'âme de leur apparente normalité...

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  3. Commence par faire le nécessaire, puis fais ce qu'il est possible de faire, et tu réaliseras l'impossible sans t'en apercevoir. [Fransesco BERNARDONE, dit Saint François d'Assise (1182-1226)] Fais le nécessaire : rien qu'un petit pas pour se dire que l'on pourra vaincre le côté obscur de la Force.

    amicalement

    Hubert

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  4. "Nisi Dominus aedificaverit domum in vanum laboraverunt qui aedificant eam.
    Nisi Dominus custodierit civitatem frustra vigilavit qui custodit."

    Le terme 'Dominus' m'a toujours paru mal traduit ou, du moins, sujet à interprétations...

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